kath
Le microscope m’attend de sa patience d’objet, je la connais, il m‘arrive de la
partager. Je cherche une épingle. J’en trouve une nichée comme un animal craintif dans le repli de la banquette. Une couturière d’un autre temps l’a perdue là, entre broderie et ourlets. Cette
époque, il faut avouer, avait ses charmes domestiques.
Je pique d’un coup sec le bout de mon index. Le sang qui perle est répandu sur
une plaquette de verre et recouverte d’une lamelle. Je place la préparation sous les pinces du microscope. J’avance mon œil, je règle le miroir et… Je vois… Je vois mes globules s’agiter
convulsivement.
JE VOIS, HORS DE MOI, DU VIVANT BOUGER.
Je hurle ma joie.
Je regarde longtemps les animalcules flotter dans leur soupe rose, puis se
fatiguer jusqu’à ralentir à l’extrême. Je possède désormais un remède définitif à la mélancolie. Je vais examiner tous les jus, toutes les humeurs de mon corps, mes excréments aussi. J’ai devant
moi une tâche immense dont la perspective me berce jusqu’au sommeil.
Bref compte-rendu de mes explorations :
_ Larmes : rien à voir.
_ Morve : personne.
_ Peau morte : absolument morte.
_ Cérumen : trop opaque pour laisser passer la lumière.
_ Vomis : impossible de reconnaître le cassoulet en boîte.
_ Salive : faux espoirs. Ce que j’ai pris pour un bacille était un effet
d’optique, un objet annelé et translucide qui a traversé mon regard sans se retourner mais en bifurquant bizarrement comme un être ivre.
_ Urine : néant, et tellement décevant.
_ Merde : nature morte.
_ Sperme : j’ai essayé une fois et j’ai pleuré. Ce bouillon était trop
grouillant. Et cette précipitation blanche, désordonnée et désespérante, et forcément vaine m‘a mis mal à l‘aise durant plusieurs heures. Je n’ai pas recommencé.
_ Sang : jamais de déception, il est désormais mon ami fidèle, mon vivant actif,
mon mouvement extérieur, mon intime ravissement, mon attendrissant compagnon aux chaudes nuances.
( la suite demain)