II
Nous étions des voyageurs. Pour rire nous nous appelions mutuellement les derniers hommes. Mais naturellement
c'était faux. Il y avait parfois au loin, de l'autre côté des vallées des feux. Et des rires qui résonnaient en écho. Des rires qui nous faisaient frémir de douleur et de tentation.
Je ne savais plus bien lire.
Et Amogh plus du tout.
Cela n'avait plus d'importance...
Je connaissais Amogh depuis toujours. Nous parlions peu.
Mais nous savions que nous pouvions compter l'un sur l'autre. Nous nous savions amis depuis toujours. Depuis quand
d'ailleurs ? Je n'aurais pu le dire. Et le jour où je l'avais interrogé sur ce sujet il avait répondu, comme une évidence, en me lançant un regard complice :
« mais... depuis que nous sommes amis ! Tu le sais bien quand même !»
« oui mais depuis quand ? »
« mais depuis que tu es toi et que je suis moi. Non ? »
« si, bien sûr ».
C'était un homme de viande, maigre, noueux, carnassier, chasseur émérite. Je connaissais, moi, les herbes, les
baies, les fruits, les champignons, les épines qui guérissent ; et celles dont la sève tue.
Le gibier autant que les fruits étaient abondants.
Devant moi Amogh se penchait pour éviter la griffure d'un rameau de houx. Les
épines griffaient son manteau en épaisse peau de chien avec un crissement délicieux, comme une furie. Il aimait rire, mais les occasions étaient rares.
(A SUIVRE)